Les déplacements du pouvoir
M le magazine du Monde | 16.03.2012 à 12h28
Par Christophe Donner
Rois et présidents, papes et dictateurs, la question s'est posée aux régnants de toutes les époques : comment conserver le pouvoir en voyageant ? Car celui qui va à la chasse perd sa place. Même de droit divin, le don d'ubiquité ne leur étant pas accordé, monarques et édiles ont dû se rabattre sur la formule la moins pratique mais la plus sûre : emporter avec eux, sinon le pouvoir, du moins ses attributs, quelque chose qui ressemblerait à un trône mobile et qui serait donc aussi éclatant, haut et coûteux : un carrosse. Tout est symbole dans le pouvoir, l'oublier c'est choir ; en montant dans sa discrète berline de monsieur Durand, Louis XVI perd ce qui lui restait de pouvoir. Qui se serait permis d'arrêter un carrosse royal dans ce trou pourri de Varennes ? Deux ans plus tôt, son fils Louis-Charles, alors âgé de 4 ans, en fait l'expérience quand il circule dans les allées de Versailles à bord de sa calèche tirée par un valet. Le futur Louis XVII apprend à régner tout en se déplaçant dans sa miniature. Elle existe toujours, du moins a-t-elle été restaurée à l'identique, et c'est d'autant plus émouvant qu'au Musée des carrosses de Versailles elle est exposée derrière le phénoménal "sacre", le carrosse dans lequel son oncle Charles X se rendit à Reims pour son couronnement. Car il y a un musée des carrosses, à Versailles : chaises à porteur, traîneaux (ces messieurs et dames de la cour faisaient des courses de traîneaux dans la neige et sur les bassins gelés), il y a aussi le char funèbre qui conduisit la dépouille de Louis XVIII à Saint-Denis et toute une série de voitures impériales et républicaines. Ce musée est situé dans les anciennes écuries du château ; malheureusement, il est fermé depuis quelques années pour des raisons financières. Mais voilà qu'apparaît soudain la fée Délocalisation, avec sa ligne budgétaire magique. Aidée par la fée Décentralisation et la fée Démocratisation, elle a jeté son dévolu sur la ville d'Arras, en mal de culture, comme tout ce grand Nord français (le Louvre à Lens, Beaubourg à Cambrai, etc.). Résultat des coups de baguette : à partir de ce week-end et pour vingt mois, le Musée des beaux-arts d'Arras accueillera les plus beaux carrosses du musée de Versailles. Qu'on se rassure, ils ne seront pas tirés par des chevaux sur les routes harassantes du Nord, mais transportés par de gros camions sur l'autoroute. J'ai demandé à la responsable du Musée des carrosses de Versailles, Hélène Delalex, si le carrosse du sacre de Charles X était allé à Reims par la route. Oui, mais les roues ont été changées pour le voyage. Les roues d'apparat, replacées avant d'entrer à Reims, hautes de plus d'un mètre, sont taillées dans un bois d'une seule pièce, et sculptées, dorées ; la quantité de dorures, de bronze doré que contient ce véhicule de 7 tonnes est sidérante : on imagine l'effet sur la population rassemblée le long des voies menant à la cathédrale, en ce mercredi 29 mai 1825, pour peu que le soleil fût du sacre. Mais à l'époque, le roi ne se déplaçait pas sans son soleil. C'est Charles Percier qui dessina "le sacre", seul et dernier carrosse au sens strict conservé en France. Outre le carrossier (Daldringen), un statuaire pour ces ahurissantes allégories, un ciseleur, un peintre (Delorme), un brodeur (Delalande), j'en passe et des meilleurs du moment. De l'impériale aux amortisseurs, des lions aux anges, des velours aux nacres, j'ai circulé avec ma petite caméra au milieu de ce délire de luxe et de symboles, comme à la recherche de ce qui restait de nos fastes d'antan, et je suis tombé sur Laurent Hissier avec son petit pinceau, en train de nettoyer les moulures, les cannelures, les rosaces, et de passer son chiffon entre les seins des sphinges, les tresses des caryatides, les griffes des aigles (car Napoléon III a récupéré le carrosse pour le baptême de son fils). Le bonheur que Laurent Hissier éprouve à restaurer ce carrosse, c'est peut-être ce qu'il y a de plus précieux dans l'austère concept de préservation du patrimoine. A voir Exposition "Roulez carrosses !", Musée des beaux-arts, 22, rue Paul-Doumer, Arras (Pas-de-Calais). Tél. : 03-21-71-26-43. Jusqu'au 10 novembre 2013. A lire Art et techniques de la dorure à Versailles, de Laurent Hissier et Daniel Sievert, Edition Vial, 296 p., 75 €.
Rois et présidents, papes et dictateurs, la question s'est posée aux régnants de toutes les époques : comment conserver le pouvoir en voyageant ? Car celui qui va à la chasse perd sa place. Même de droit divin, le don d'ubiquité ne leur étant pas accordé, monarques et édiles ont dû se rabattre sur la formule la moins pratique mais la plus sûre : emporter avec eux, sinon le pouvoir, du moins ses attributs, quelque chose qui ressemblerait à un trône mobile et qui serait donc aussi éclatant, haut et coûteux : un carrosse. Tout est symbole dans le pouvoir, l'oublier c'est choir ; en montant dans sa discrète berline de monsieur Durand, Louis XVI perd ce qui lui restait de pouvoir. Qui se serait permis d'arrêter un carrosse royal dans ce trou pourri de Varennes ? Deux ans plus tôt, son fils Louis-Charles, alors âgé de 4 ans, en fait l'expérience quand il circule dans les allées de Versailles à bord de sa calèche tirée par un valet. Le futur Louis XVII apprend à régner tout en se déplaçant dans sa miniature. Elle existe toujours, du moins a-t-elle été restaurée à l'identique, et c'est d'autant plus émouvant qu'au Musée des carrosses de Versailles elle est exposée derrière le phénoménal "sacre", le carrosse dans lequel son oncle Charles X se rendit à Reims pour son couronnement. Car il y a un musée des carrosses, à Versailles : chaises à porteur, traîneaux (ces messieurs et dames de la cour faisaient des courses de traîneaux dans la neige et sur les bassins gelés), il y a aussi le char funèbre qui conduisit la dépouille de Louis XVIII à Saint-Denis et toute une série de voitures impériales et républicaines. Ce musée est situé dans les anciennes écuries du château ; malheureusement, il est fermé depuis quelques années pour des raisons financières. Mais voilà qu'apparaît soudain la fée Délocalisation, avec sa ligne budgétaire magique. Aidée par la fée Décentralisation et la fée Démocratisation, elle a jeté son dévolu sur la ville d'Arras, en mal de culture, comme tout ce grand Nord français (le Louvre à Lens, Beaubourg à Cambrai, etc.). Résultat des coups de baguette : à partir de ce week-end et pour vingt mois, le Musée des beaux-arts d'Arras accueillera les plus beaux carrosses du musée de Versailles. Qu'on se rassure, ils ne seront pas tirés par des chevaux sur les routes harassantes du Nord, mais transportés par de gros camions sur l'autoroute. J'ai demandé à la responsable du Musée des carrosses de Versailles, Hélène Delalex, si le carrosse du sacre de Charles X était allé à Reims par la route. Oui, mais les roues ont été changées pour le voyage. Les roues d'apparat, replacées avant d'entrer à Reims, hautes de plus d'un mètre, sont taillées dans un bois d'une seule pièce, et sculptées, dorées ; la quantité de dorures, de bronze doré que contient ce véhicule de 7 tonnes est sidérante : on imagine l'effet sur la population rassemblée le long des voies menant à la cathédrale, en ce mercredi 29 mai 1825, pour peu que le soleil fût du sacre. Mais à l'époque, le roi ne se déplaçait pas sans son soleil. C'est Charles Percier qui dessina "le sacre", seul et dernier carrosse au sens strict conservé en France. Outre le carrossier (Daldringen), un statuaire pour ces ahurissantes allégories, un ciseleur, un peintre (Delorme), un brodeur (Delalande), j'en passe et des meilleurs du moment. De l'impériale aux amortisseurs, des lions aux anges, des velours aux nacres, j'ai circulé avec ma petite caméra au milieu de ce délire de luxe et de symboles, comme à la recherche de ce qui restait de nos fastes d'antan, et je suis tombé sur Laurent Hissier avec son petit pinceau, en train de nettoyer les moulures, les cannelures, les rosaces, et de passer son chiffon entre les seins des sphinges, les tresses des caryatides, les griffes des aigles (car Napoléon III a récupéré le carrosse pour le baptême de son fils). Le bonheur que Laurent Hissier éprouve à restaurer ce carrosse, c'est peut-être ce qu'il y a de plus précieux dans l'austère concept de préservation du patrimoine. A voir Exposition "Roulez carrosses !", Musée des beaux-arts, 22, rue Paul-Doumer, Arras (Pas-de-Calais). Tél. : 03-21-71-26-43. Jusqu'au 10 novembre 2013. A lire Art et techniques de la dorure à Versailles, de Laurent Hissier et Daniel Sievert, Edition Vial, 296 p., 75 €.
formidable! Laurent, you have your hands all over this beautiful thing!
RépondreSupprimerThanks you Lynne, thats right!! only the doors with paintings will be restaured one day by another one!
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